Légende du Liège en Marensin

Le Chêne-Liège – Lou Casse de Sen Martin (Jean Peyreblanques – Contes et Légendes des Landes)

Il est vrai, me dit mon interlocuteur, que Saint Vincent est le père des vignerons et même de l’armagnac, mais on doit presque autant à Saint Martin.

–  A Saint-Martin ?

– Oui cher ami, à Saint-Martin. Et c’est pourquoi, au Marensin, le chêne-liège est considéré comme l’arbre de Saint-Martin.

(J’avais de la chance, mon vieil interlocuteur parlai enfin. Je l’écoutais).

– Vous savez, cher ami, que le vin de sable est capricieux et fantasque. Le Diable n’a laissé que ses attributs à son vin, mais ils y sont …, lui donnant son charme et sa fragilité. Les pauvres humains, pour profiter de ce nectar, en font l’expérience.

Autrefois, les humains conservaient le vin dans des amphores de faïence, bouchées par un cachet de faïence scellé à la cire. Plus démocratiquement, des cabilles de bois ou brouquet entourées ou non de tissu, remplaçaient le cachet moins pratique.

Il y a longtemps, très longtemps, Martin, un bon Marensinot de Moliets ou de Messanges, travaillait aux champs. Vint l’heure de la pause. Assis à l’ombre d’un tauzin en lisière de la forêt, il déboucha sa gourde accompagnant le picachou, et pris une gorgée.

Diu Biban de diu Biban. C’est encore ce hil de pute de brouquet. Ce vin pique. Diu biban de Diu Biban … !

– Que vous arrive-t-il, pauvre homme, pour jurer ainsi avec le Bon Dieu ?

Et il aperçut un étranger habillé en pèlerin, debout, appuyé d’un bras sur un chêne-liège et qui paraissait reprendre son souffle.

– Juron du Diable, vous voulez dire ! Il ne demande qu’à « tourner » et ce vin va piquer dès qu’il verra l’air. Et dire que j’en ai une barrique ! Diu Biban ! D’ailleurs, vous allez en juger par vous-même pèlerin, vous êtes fatigué, vous allez partager avec moi mon picachou et en buvant, vous pourrez vous en rendre compte.

Prenant la gourde, le pèlerin goutta, cracha, opina du bonnet et s’écria :

– Ça fera du bon vinaigre.

– Diu Biban, je sais bien, avec ce hil de pute de vin de sable …

– Ecoutez, faisons un pari, vous ne jurez plus et je vous donne le moyen de ne plus avoir ce vin vif.

– Diu Biban, je veux bien !

– A condition, de ne plus jurer.

– Oui, mon Dieu, oui … !

– Bon !

Et notre Marensinot vit l’écorce se fendre en deux, jusqu’aux premières branches, et s’ouvrir comme une noix.

– Tu vois, cette écorce c’est du liège. Viens toucher, si l’extérieur est rêche et râpe, l’intérieur est souple et résistant. Si tu coupes avec ton couteau un morceau de la taille de ton ouverture, l’air de la mer ne pourra plus passer, et ton vin ne piquera plus. Ce liège, il faut le couper tous les neuf ans car, il est lent à venir et il ne faut pas abîmer l’arbre. Tu coupes à ta hauteur en deux, comme mon manteau, et tu décolles le liège. Tu pourras alors couper les morceaux pour boucher pipes et barriques, gourdes et pots. Mais si tu violentes mon arbre, il ne te donnera plus d’écorce.

Et Saint-Martin, car c’était lui, disparut aux yeux de notre Landais ahuri.

C’est ainsi que le bouchon naquit près de Soustons, y établit sa capitale… un certain temps. Quant au liège qui boucha si bien le vin de sable, il conquit le monde comme un matériau noble et, dans notre petit Marensin, le chêne-liège c’est l’arbre de Saint-Martin ou lou casse de Sen Martin : lou corcier.